Le vent soufflera - Revient de Loin

Son trot ample soulevait les cendres derrière lui. L'étalon se fondait dans le triste paysage, écrasant sur son passage les quelques touffes d'herbes poussant de leur mieux dans la prairie devenue grise. Le soleil se levait doucement sur l'île. Le ciel, n'abordant pas encore une teinte complètement bleue, offrait un splendide paysage à n'importe quelle âme sensible. La journée s'annonçait belle, sans aucun doute. C'est pour cette raison que le gris avait décidé de sortir. Le temps était idéal. Et il était enfin prêt, aussi. Son encolure haut portée témoignait de son assurance. En dépit du peu d'exercice qu'il avait fait ces derniers temps, il gardait fière allure.

Son regard bleu nuit pétillait. Il s'ébroua. Zarathos faisait enfin sa rentrée. Depuis sa rencontre avec l'Alpha à la robe bicolore, il avait perdu la face. Monsieur le doux et sa Justice à deux balles avait réussi à prendre la main sur lui. L'Esprit de Vengeance ne s'expliquait pas encore comment une telle chose avait été possible. Il ne comprenait pas qu'un faible comme Zadkiel ait réussi à le mettre en déroute, lui, le grand haineux. Remis en place par un faible... Ridicule. Mais le pire était qu'il lui avait fallut attendre le début de la lune rouge pour parvenir à l'écraser si violemment qu'il ne l'entendait plus. Certains pourraient s'en voir inquiets mais il n'était pas dans son genre de s'en faire pour de telles broutilles.

L'ibérique s'arrêta en plein milieu de l'étendue. Il venait de flairer une odeur. Une jument, aucun doute possible. Cependant il s'agissait d'un odeur qui lui était inconnue. Un fin sourire dévoila ses blanches dents. Cela faisait un moment qu'il ne s'était pas fait remarquer. Il avait été bien trop calme et bien trop longtemps. Ainsi se devait-il de réparer son erreur. Le Bêta était de retour dans le jeu et les adulateurs de Zeus le sauraient bientôt. Fini la trêve. D'autant plus qu'il avait été forcé de rester à l'écart lors de l'apparition du Brise-Ciel, chose qui lui déplut particulièrement.

Il releva les naseaux au ciel, humant cette odeur. Bientôt elle serait là. Elle ne saurait tarder plus longtemps. Il ricana. L'Esprit de Vengeance avait sa proie.

Son arrière main s'affaissa. Silencieusement, il commença à trépigner d'impatience. L'esprit de Vengeance mourrait d'envie de faire son retour officiellement. Pour cela, il ne lui manquait qu'une proie, chose qu'il venait à présent d'avoir sous le sabot. Son impatience était grande. Il lui tardait qu'elle s'approche. Alors il finirait sa chasse.

Sa douce odeur féminine lui caressait les naseaux. Il ne tenait plus. Vite. Qu'elle vienne. Qu'il puisse montrer enfin son retour. Qu'il puisse enfin affirmer que le frère modèle avait perdu la main et que lui, l'impulsif, le fou, était de nouveau sur le devant de la scène. Bientôt l'île toute entière serait au courant de sa présence retrouvée. Pour cela, il n'avait rien de plus à faire que de se faire une ou deux victimes. Les rumeurs allaient vite. Tout le monde saurait bientôt. Oh qu'il lui tardait !

Son regard pétillait d'envie. Il voulait se défouler sur elle comme il l'avait fait avec le crème. Il voulait susciter la haine de ces crétins ne comprenant pas que celle qu'ils devaient suivre était la félonne et non ces autres dieux de pacotille. Et il voulait sa Vengeance. Au plus vite. Le plus tôt serait le mieux.

Mais sa proie ne semblait partager son avis, s'étant immobilisée. Et elle lui montrait son dos en plus. Insolente. On n'ignorait pas l'Esprit de Vengeance. Il gonfla son thorax, soufflant d'énervement un bon coup. L'insolente. Pour la peine, il prendrait son temps avant de la cueillir.

Le vent se leva, balayant les quelques touffes développées, voulant emporter au passage ses sombres crins ondulés. Puisqu'il en était ainsi, ce serait lui qui viendrait à elle. Il s'élança au trot. On ne pouvait passer par le même endroit que lui sans le remarquer. Zarathos s'arrêta juste derrière elle.

_ Le vent souffle fort, n'est-ce pas ?

L'Esprit de Vengeance s'était tût. Droit comme un piquet, il attendit réaction de la fine jument alezane. Peu lui importerait ce qu'elle répondrait. Dans tous les cas, cela ne changerait rien à ses pulsions. Il voulait se défouler. Il voulait montrer sa présence. Il était resté bien trop de temps prisonnier. Zadkiel avait beau pu croire qu'il parviendrait à le faire oublier, il n'en serait point ainsi. Zarathos avait réussi à lutter contre lui. Comment avait-il pu penser à contrôler un étalon tel que lui ? Le gris en riait. Revoir Arlequin avait pu donner de l'espoir à l'Esprit de Justice, il n'en restait pas moins un faible.

Et elle parla. Et il tiqua. Une grimace lui échappa alors qu'il sembla retrouver sa placidité l'espace d'un instant.

« Ris Zarathos. Ris. En attendant cette Dame va te remettre les idées en place. »

Et il bondit. Et il se plaça face à elle, plantant son regard dans le sien. Ainsi osait-elle le défier. Soit. Bien qu'il ne s'attendait pas à une réaction telle que celle-ci, cela lui convenait amplement, il saurait s'en satisfaire. Il n'avait pas perçu sa réplique comme une pique. Bien au contraire, son orgueil s'en voyait amplifié. Il sourit.

_ Sait-on jamais, vous autres juments pouvez être suffisamment stupides pour ne pas le remarquer.

Arquant son encolure, insistant de se fait sur son statut d'étalon, il se décala doucement jusqu'à passer non-loin de ses flancs. De sa place, il pouvait aisément planter ses dents dans son frêle corps. De tous les victimes, celles aux allures arabisées étaient excellentes. Elles paraissaient si faibles.

_ Prenez garde à ne pas vous envoler, ce serait fort regrettable...

Il lui sourit à son tour comme elle venait de le faire avec insolence. Zarathos se ferait un plaisir de la remettre à sa place. Il ne demandait que cela. Montrer à quel camp il appartenait. Et en montrer la puissance. Les Bêtas, lui compris, avaient assez dormi. Il était plus que temps de se réveiller.

Un fin sourire aux lèvres, il dévoilait ses dents dont l'envie de mordre était forte en cet instant. Oui, il voulait croquer dans sa tendre et faible encolure avec la violence de son ennui. Il voulait jouait au jeu du chat et de la souris. Il voulait se divertir avec sa proie avant de la dévorer. L'Esprit de Vengeance voulait que l'inconnue paye pour son impertinence. Par le simple fait de respirer, elle l'agaçait profondément. Le manque d'exercice était fort cruel, ne lui faisant voir que l'occasion de faire un peu de mal sur son passage. Pandörian il l'était. Ne devait-il pas être craint ? Ces derniers temps, il n'avait fait que dormir. Tout cela l'agaçait.

Un rire léger et moquer s'échappa doucement de sa bouche alors que l'alezane lui expliquait que non, elle n'avait pas remarqué le vent qui soufflait pourtant depuis un bon moment déjà. Un second rire retentit simultanément dans sa tête. « Je crois bien qu'elle se paye ta tête, Zarathos. » Son regard s'assombrit. Un fin éclat vint s'y glisser. Pour qui se prenait-il ? Mais surtout, pour qui se prenait-elle ? Elle n'était qu'une bonne à rien, une simple créature de ce traître de Zeus et elle osait se moquer de lui. Cela suffisait. D'un certain point de vue, elle lui rappelait le papillon.

Bien heureusement il avait perdu de vue la claudicante Demoiselle. Mais cette inconnue avait une part de son irrespect et de sa témérité. Cela l'agaçait profondément. Plus qu'il ne l'était déjà. En réalité, il ne serait que surprenant voire impossible que l'ibérique se trouva baigné d'une émotion positive alors que Zadkiel se cachait au fond de son être. Certes, il ne se cachait plus réellement et parvenait même à lui donner de fil à retordre mais il importait peu ; jusqu'à présent le fils de la haine avait toujours réussi à le remettre à sa place.

Elle l'agaçait. C'était un fait. Les personnalités comme la sienne pouvaient le rendre plus fou qu'il ne l'était de nature. Alors que l'étalon bouillonnait, le doux frère d'Arlequin veillait. Il ne pourrait pourtant l'empêcher de décrocher une ruade en la direction de la jument. Puisqu'il venait de le faire. Elle voulait voler ? Elle pouvait apprendre. Dès maintenant.

La soif de l'Esprit de Vengeance était bien trop grande pour que Zadkiel ne puisse intervenir. Cette partie de sa personnalité qui d'autant plus avait enfin accepté son statut de Pandörian ne pouvait rien faire hormis continuer de signaler sa désapprobation. Être du côté de Pandore, et d'Arlequin, était une chose. Il n'en deviendrait pas un meurtrier pour autant. Si quelqu'un devait payer pour ses crimes, ce serait ce traître de Zeus et aucun autre. Et encore, son châtiment serait juste.

Zarathos se délecta de ses pensées. « Non, il le paiera cher. As-tu oublié ce qu'il a fait à notre troupeau ? » Il ricana. Et cette jument, la créature du dieu de la foudre. Elle n'était tout bonnement rien d'autre qu'un fragment de sa Vengeance. Insolente qu'elle l'était aussi. Qu'importait bien, l'écraser n'en serait que plus satisfaisant.

Toisant de toute sa hauteur la fine alezane, il arborait toujours son air loufoque. Cela faisait un moment qu'il ne s'était pas autant amusé. Et elle, avec son attitude méprisante, ne faisait que l'inciter à jouer un peu plus longtemps encore. Il ne comptait pas la casser définitivement, oh que non. L'Esprit de Vengeance prendrait soin de la laisser debout. Comment pourrait-elle répandre son retour autrement ?

Et la rage commençait à monter dans tout l'être composant sa victime du jour. Il rit brièvement. Pour qui se prenait-elle donc ? Elle était si fine et petite que n'importe qui pourrait aisément prendre le dessus sur elle. Face à lui, elle n'avait aucune chance si Zadkiel continuait de se tenir sagement dans son coin de sa tête.

Elle tenta une attaque qu'il esquiva sans trop de difficultés. Il sourit, ne la quittant plus du regard.

_ Ne confonds pas les rôles.

Ce serait elle la victime, et non lui. Il était l'Esprit de Vengeance, fort et fier combattant. Elle était rien.

_ Cela m'étonne que le vent ne t'ait toujours pas emportée.

Sur ce, il ne patienta plus longtemps et se leva de toute sa hauteur au-dessus de la jument. Il s'abattrait sur son encolure, elle ne pouvait lui échapper.