[EVENT] Memento mori

Belzébuth se tenait près d'un pan de mur de l'Antre du Dragon, guettant le réveil du monstre, qui ne tarderait pas ensuite à prendre son envol pour se remplir la panse. Ils agiraient alors. Le démon avait hâte. Un très large sourire découvrait ses dents blanches, et ses yeux fous balayaient les alentours.

- Es-tu là, chère Amaëa ?

La voix d'Amaëa retentit dans son esprit. L'Alpha se délecta de la douceur de son hôte, il en appréciait les courbes chatoyantes qui s'échappaient dans un frisson traversant son corps blanc et féminin.

"Je suis là, Cooper."

Il ferma les yeux, inspira profondément. Le sourire du démon s'agrandit encore, découvrant une mâchoire qui n'aurait pas du être aussi grande sur un cheval. Il l'ouvrit, étira ses maxillaires comme un serpent ouvrirait grand la gueule pour dévorer une proie, puis referma ses dents les unes contre les autres sans un bruit. Le dragon dormait encore.
Près de lui, une porte-miroir s'ouvrit dans la roche et des Pandörians mortels le rejoignit. Le dragon s'éveilla, s'étira.

- Es-tu triste, Amaëa ?

La bête gigantesque déplia ses ailes.

"Je le suis."

Dans un crissement de joyaux et de pièces d'or dégoulinant de son énorme trésor, le Brise-Ciel s'élança vers les cieux, bouchant durant un instant la seule source de lumière du volcan éventré. L'obscurité les enveloppa.

- Comment est-ce ?

Un sanglot retentit dans sa tête. Elle ne répondit pas. Belzébuth répondit à sa place, en se jetant en avant, à peine les rayons du soleil subjuguant une nouvelle fois les parois noires de suie du volcan.

- Une longue chasse sans meurtre.

Le démon se mit à gravir la montagne de qui-brille du dragon. Ils avaient peu de temps avant que le monstre ne se rende compte de leur intrusion. Un rire fou sortit de sa gorge et fit vibrer l'Antre. Quelque part, il y avait une pierre majestueuse. Une pierre que Pandore désirait. Une clef. Mais c'était là la mission des bêtas. Lui, Belzébuth, comptait bien s'amuser un peu.

Quelque part en dehors tes terres connues de l'île, loin de la vue de simples mortels, il attendait. À l'abri des regards, il patientait. Là où nul adorateur du traître siégeant au sommet de l'Olympe ne pouvait pénétrer. Ses côtes se soulevèrent. Il inspira profondément. Ses paupières closes s'ouvrirent, le sortant de son assoupissement. Son regard pétilla. Bientôt son tour viendrait. Il avait hâte. Vraiment.

L'esprit de Justice et ses douces pensées avait été au préalable remis en place. Il serait fort regrettable qu'il vienne tout gâcher dans un moment aussi intense que celui qui allait suivre. Certes, Zadkiel, sachant son Arlequin adoré toujours en vie, ne viendrait plus l'embêter aussi fréquemment qu’auparavant. Mais il en restait tout de même un sacré enquiquiner lorsqu'il venait malgré tout lui expliquer que non, par la loi de telle vertu, il n'était pas judicieux de faire ceci. Et qu'il devrait plutôt faire cela.

Le cendré s'élança. La porte s'ouvrait. Il était temps pour lui d'entrer en scène. Sans hésitation, il la franchit. Un picotement dans sa tête lui arracha une grimace qu'il dissimula de son mieux. Monsieur n'approuvait pas sa mission. Pourtant, lui, le grand, le seul et l'unique, le dénommé Zarathos, irait bel et bien voler la pierre surmontant le trésor du Brise-Ciel. « C'est du suicide. Si le dragon nous découvre, nous sommes morts. » Il l'ignora. Ce n'était pas un gros plein de soupe comme Nosvorath qui allait lui faire peur. Lors de sa naissance, il avait pu faire trembler Zadkiel. Mais lui, l'esprit de Vengeance, ne se laisserait pas impressionner. Il remplirait sa mission.

Dans l'ombre de rochers, il attendit que s'envole la créature. D'un pas silencieux, caché contre la sombre paroi de la grotte, il se glissa dans l'Antre sans faire aucun bruit. L'ibérique s'arrêta un instant au pied de la montagne d'or. « Nous verrons bien qui trouvera cette fichue pierre le premier. » Il avait chuchoté, plus pour lui-même que pour autre chose. Balayant la grotte de son sombre regard, il tomba sur une silhouette claire lui étant familière. Un Alpha. Belzébuth était sur place, apparemment. Cela lui importait bien. Motivé, il se pressa d'entamer ses recherches. Il rapporterait la clé à Pandore. Et grâce à cette pierre, sa Vengeance s'annoncerait plus rapidement. « Mais n'as-tu pas vu Arlequin de tes propres yeux ? » L'étalon tiqua. Ce crétin avait raison. Mais il restait encore de nombreux équidés à venger. Alors il le ferait.

Belzébuth observait le ciel. Les rayons du soleil faisaient briller les milles merveilles que le dragon avait réuni depuis tant d'années ici. Son trésor. Le démon glissa quelque peu sur la montagne de qui-brille, un de ses antérieurs s'y enfonçant. Il se rétablit, alors qu'une myriade de pièces d'or s'écoulait entre ses jambes. Il lâcha un juron grossier.
Et lorsqu'il releva la tête vers le sommet, il dut plisser les yeux. Ébloui par la lumière iridescente qui traversait un joyau hors du commun. Même lui, qui se fichait de bien des choses en ce monde, fut touché par la beauté que dégageait la pierre. Aucun doute là dessus : c'était celle-là, que Pandore désirait.

Belzébuth se remit à gravir la montagne de trésors, tant bien que mal. La pierre glissa et roula sur les pièces. Grognant, il se tourna vers le bêta l'accompagnant.

- Attrape la !

Un hurlement venu du ciel fit vibrer le volcan. Nosvorath avait senti leur présence. Ils devaient faire vite.

L'esprit de Vengeance devait bien l'avouer, tout cet or accumulé était fort tentant. Ça brillait. Ça scintillait. C'était beau. Mais l'or ne lui servirait à rien. Ne voulait-il pas exterminer Zeus ? « Arrêtes un peu avec tes histoires de Vengeance. Dépêches-toi de trouver cette pierre, qu'on en finisse. Je veux revoir Arlequin, moi. » L'étalon soupira. Sa queue fendit l'air. Il tiqua. « Ne t'ai-je pas fait comprendre que tu dois te taire ? »

En fin de compte, il aurait certainement mieux fait de calmer ce petit frère modèle un peu plus sévèrement. Il retourna son attention sur le trésor. Pour le moment il n'était pas question de régler ce genre de détails. Zarathos devait profiter de l'absence du monstre ainsi que de la présence de l'Alpha pour mener à bien sa mission.

Attrape la !

Un sursaut lui échappa alors qu'il reniflait une pierre d'un rouge étincelant. Son regard se posa sur une pierre roulant vers le sol. C'était celle-ci qu'il fallait attraper ? Bien. Sans perdre de temps à se poser d'inutiles questions, il s'élança vers ladite pierre. Ouvrant grand sa mâchoire, il s'en saisit précipitamment. Elle n'irait pas plus loin. Quel bon chien il faisait !

À présent qu'ils avaient mis le sabot sur l'objet de leur expédition, il fallait quitter au plus vite l'Antre de Nosvorath avant que celui-ci ne revienne. L'on entendait déjà son mécontentement. Il fallait faire vite. L'esprit de Vengeance se glissa vers la sortie. L'Alpha devait certainement en avoir fait autant maintenant qu'ils avaient atteint leur objectif.

En s'assurant que le bêta avait bien récupéré la pierre fabuleuse, Belzébuth glissa encore dans l'immense trésor du dragon, s'y enfonçant quelque peu. Avancer là-dessus n'était pas chose facile. Bondissant comme un mouflon, le démon se dépéchait de rejoindre le soldat sous ses ordres, qui se dirigeait déjà vers la sortie. Une bouffée d'air frais souleva sa crinière de nacre, alors qu'il dévalait la montagne de qui-brille.

"Cooper, attention !"

Il eut juste le temps de voir une énorme ombre venir s'abattre sur lui, avant de réaliser un saut vers l'avant et de se réceptionner tant bien que mal dans les pièces. Le dragon venait de se reposer dans son antre, une de ses grosses pattes posée là où il se tenait quelques secondes plus tôt. Le hurlement de la bête retentit dans le volcan. Nosvorath savait où ils se trouvaient.
Belzébuth toucha enfin au sol volcanique. Ni une ni deux, il s'élança, le corps fin d'Amaëa se tendant comme un élastique avant de partir au grand galop vers la sortie.

Derrière lui, le dragon ouvrait la bouche pour cracher son feu. Belzébuth ne se retourna pas pour regarder, il sentait la chaleur envahir l'antre et cela lui suffisait amplement.
Amaëa avait l'avantage d'être taillée pour la course, ce qui profitait au démon. Rattrapant son comparse, il le doubla dans un couloir étroit.

- Plus vite Zarathos, ou tu finiras en gibier fumé !

Les flammes du dragon couraient derrière eux. Ralenties par le vent de l'extérieur, qui apportait sur le visage du démon une sensation de froid intense. Belzébuth bondit au dehors, et ramena son arrière-main sous lui, se réceptionnant de côté sur la pente glissante du volcan. Tout en haut, Nosvorath hurlait. La montagne de feu tremblait. Il allait reprendre son envol pour les pourchasser. Le démon jura et ralentit pour indiquer ses derniers ordres au bêta.

- Rejoins les geysers et ne te retournes pas ! Et surtout : ne lâche la pierre sous aucun prétexte !

Belzébuth lui lança un regard déterminé avant d'afficher un sourire fou. Il se pointa, s'arrêtant sur la pente, avant de prendre une tout autre direction que Zarathos. Il allait faire diversion pour permettre au soldat Pandörian de continuer sa mission.

L'étalon filait à vive allure le long de la sombre paroi. Il devait se dépêcher, le monstre semblait déjà de retour, à son plus grand malheur. Bien que l'Esprit de Vengeance s'était emparé de l'objectif premier de leur mission, il restait encore beaucoup à faire. Dans un premier temps, il devait sortir vivant de l'antre, sans lâcher la pierre.

L'Alpha était clair : Il ne devrait lâcher leur précieuse trouvaille. L'ibérique ignorait ce à quoi elle pouvait donc servir. Ce n'était qu'un bout de roche étincelant, sans aucun intérêt à ses simples yeux de Bêta. Ce n'était qu'un cailloux et pourtant, il devrait le ramener coûte que coûte. Son galop s'allongea de plus belle. Zadkiel le pressait. Lui non plus ne souhaitait pas finir rôti par les flammes enfin crachées. C'était maintenant que sa vie se jouait.

Son corp tendu sorti finalement de la grotte. L'étalon ne s'arrêta pas pour autant. Les paroles de Belzébuth tournaient encore dans son esprit. Il n'avait pas le temps de souffler, pas tant qu'il n'avait pas livré la pierre. Sa course continua donc sur le flanc du volcan. Il accéléra, entendant rugir la créature, certainement fort irritée. Les geysers étaient à portée de vue, il devait continuer. Sa mâchoire maintenait fermement la pierre et ses naseaux dilatés soufflaient comme jamais. Son retour s'annonçait prometteur, il était comblé.